Des enfants visitent un espace adapté aux enfants dans un camp de personnes déplacées dans l'État de Gadarif. Crédit photo : Plan International / Mona Elfateh.
17.04.2025 - de Plan International

Soudan : La crise de déplacement qui connaît la croissance la plus rapide

Par Syed Mohammed Aftab Alam, responsable de l'Unité mondiale de réponse à la faim et de résilience de Plan International.

Depuis ma dernière visite en 2018, le Soudan a bien changé. Cette fois-ci, je suis entré par Port-Soudan au lieu de Khartoum, et j’ai visité Kassala et Gedaref au lieu du Nil Blanc et du Darfour. Ce qui m’a d'emblée frappé, c’est le nombre impressionnant de documents que mon collègue Ali – qui m’avait déjà accompagné lors de mon précédent voyage – transportait avec lui. « Tu seras étonné du nombre de points de contrôle sur les routes », m’a-t-il dit. Il avait raison. Ces contrôles routiers omniprésents témoignent des profonds bouleversements survenus au Soudan au cours des sept dernières années.

Henna, une personne déplacée vivant dans le centre de rassemblement d’Abu Anneja à Gedaref, m’a confié : « J’ai dû déménager plusieurs fois à cause du conflit. Je rêve de pouvoir enfin m’installer quelque part, en paix. Combien de temps cela va-t-il encore durer ? » Depuis 2023, Henna a été déplacée à trois reprises : d’abord de Khartoum, puis via Al Jazeera, avant d’arriver à Gedaref. Aujourd’hui, elle tente de se créer une stabilité dans un logement semi-permanent. Elle a aménagé une pièce chaleureuse, décorée de peintures, et entretient un petit potager où elle cultive des légumes et des fleurs, grâce aux semences reçues de sa communauté d’accueil à Al Jazeera.

Une vie marquée par l’incertitude

Malgré les efforts déployés, la vie reste incertaine, en particulier pour les enfants et les jeunes. Les filles, encore plus vulnérables, sont confrontées à de multiples dangers. Le conflit a profondément dégradé la situation humanitaire : les besoins en alimentation, en eau potable, en assainissement, en hygiène et en protection sont criants. L’un des besoins les plus urgents exprimés par les personnes déplacées – surtout les femmes et les jeunes filles – est l’accès à de l’argent liquide.

« J’ai reçu de la nourriture de Plan International Soudan il y a six semaines, » raconte Henna. « Il y en avait pour trois semaines seulement. Ce dont j’ai besoin maintenant, c’est de ‘garoosh’ (de l’argent liquide). C’est vital. J’ai besoin d’acheter de la nourriture, des protéines, des médicaments. »

Les adolescentes et les femmes évoquent aussi un manque de sécurité et d’intimité, lié à l’état précaire des sanitaires et des douches, souvent non couverts.

Près de 30 % des personnes déplacées ici ont commencé à retourner dans l’État d’Al Jazeera, souvent considéré comme leur région d’origine. Cela crée un sentiment de désespoir chez celles et ceux qui restent, observant leurs compatriotes partir vers des zones déclarées « sûres » par les autorités. Mais nombre d’entre eux ne peuvent pas rentrer : leur région est toujours dangereuse – en raison de mines antipersonnel, notamment – ou bien ils n’ont tout simplement pas les moyens financiers. Un retour pour une famille de cinq personnes coûte entre 200 000 et 300 000 livres soudanaises (environ 100 à 150 dollars américains).

Une crise de déplacement d’une ampleur inédite

Depuis le déclenchement du conflit en avril 2023, le Soudan est devenu le théâtre de la crise de déplacement la plus rapide au monde, et de la plus grave crise alimentaire. En mars 2025, 8,5 millions de personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays, et 3,5 millions de plus avaient fui vers les pays voisins, notamment le Tchad, le Soudan du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie, la Libye, l’Ouganda et la République centrafricaine.

Aujourd’hui, une personne sur quatre au Soudan est déplacée, et une personne déplacée sur six dans le monde est soudanaise.
À Gedaref, le représentant du HAC (Humanitarian Aid Commission) estime que 40 % des déplacé·e·s pourraient rentrer d’ici fin février, mais que les 60 % restants devront attendre que Khartoum soit jugé « sûr », ce qui pourrait prendre du temps.

Une urgence nutritionnelle et sanitaire

Le Soudan fait désormais partie des quatre pays les plus touchés par la malnutrition aiguë globale (GAM). Plus de la moitié de la population – soit près de 26 millions de personnes – souffre de faim aiguë. Près de 5 millions d’enfants, de femmes enceintes et de mères allaitantes sont concernés par la malnutrition. En parallèle, plusieurs épidémies sévissent : choléra, paludisme, dengue, rougeole et rubéole.

Le Comité d’examen de la famine de l’IPC signale une famine confirmée dans au moins cinq régions, et en prévoit d’autres entre décembre 2024 et mai 2025. Actuellement, 638 000 personnes sont en situation de crise extrême (phase 5 de l’IPC). Des conditions de famine sont déjà observées dans le nord du Darfour et l’ouest des monts Nouba. Malgré cela, le gouvernement soudanais refuse de reconnaître officiellement l’existence d’une famine selon les critères de l’IPC.

Comment Plan International soutient les filles au Soudan

Face à cette situation dramatique, Plan International Soudan concentre ses efforts sur l’aide vitale : distribution de nourriture, transferts monétaires dans les camps et les centres de rassemblement, amélioration des infrastructures sanitaires pour protéger la dignité et l’intimité des adolescentes et des femmes.

Comme le souligne Mohammed Kamal :

« Nous devons répondre aux besoins essentiels par une approche intégrée – et cela commence par remplir des estomacs vides. »

Henna, elle, garde espoir. Elle rêve de rentrer chez elle, de reconstruire sa maison, retrouver son bétail, cultiver ses terres, nourrir ses enfants convenablement – et surtout, les renvoyer à l’école.